NOIR DESIR – Montréal – Musique Plus TV le 12/O3/2002 et Métropolis le 15/03/2002 |
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Le Roi Des et les Ambassadeurs : Aéroport de Philadelphie, 20h00 heure locale, 02H00 heure française, des fragments de nuit recouvrent un ciel gris plombé. La mine blême, c’est d’un pas lourd que je rejoins la nacelle. Au moment de pénétrer dans l’oiseau de métal, le type qui me précède est interpellé par les douaniers. Je rejoins donc mon siège et tente de me laisser couler dans un sommeil semi éveillé quand le type en question déboule dans les travées jouant les mariolles de service. Vifs regards échangés avec mon voisin, nous zippons nos lèvres : Ducon La Joie prend possession de l’appareil. La France est en vacances et elle insiste pour le faire savoir. Vautré dans la honte, je fredonne en silence les paroles de « Un jour en France » quand Ducon la Joie, en plein riff de « No fun » est embarqué par les Shérifs locaux. Nous débarquons sur Dorval-Montréal en prise avec les intempéries : Les glaces et le feu.
Le taxi trace vers l’est de la ville-île. A bord, mes hôtes, reviennent sur les principaux sujets qui préoccupent, entre autres, les Québécois : La Souveraineté, les Twins Towers, le conflit des traditionalistes Mohawk contre les progressistes et, bien sûr, la déferlante culturelle du moment à savoir les girondins de Noir Désir. A les écouter, le groupe semble tenir un rôle d’ambassadeurs qui va bien au delà du rôle et de l’image qui les accompagnent habituellement, c’est à dire un excellent groupe de rock et un point c’est tout. Ici, l’accueil réservé au groupe est impressionnant. Nous sommes en Amérique du Nord, on ne s’y trompe pas et nos cousins francophones de cette Amérique tant perdue, ont mis vraiment le paquet en matière de bienséance et de diplomatie…. Rock ! Alors, Messieurs les Français, jouez les premiers et surtout qu’il n’en reste rien !
Caresser les trottoirs sous des feux broadwaysiens : Cette année, la neige se fait rare sur Montréal et ses autochtones sont déçus mais que l’on ne s’y trompe pas. Il faut prendre en compte les facteurs de vent et les taux d’humidité. Ce qui veut dire que vous pouvez rester figés sur place malgré un grand soleil et un ciel d’azur. De Rosemond, je m’oriente sur le plateau Mont Royal, sur l’ouest, pour bifurquer vers le sud en direction du fleuve vers la Sainte Catherine, l’une des places fortes de Montréal, avec ses théâtres, son village Gay (impressionnant), ses clubs rock (les célèbres Foufounes Electriques), ses cinémas et sa Place des Arts. Avec les courants d’airs quasi polaires, qui se glissent en travers des plexis bleus et argentés des buildings, qui s’érigent en verges lumineuses au cœur de la mégapole, les montréalais pressent le pas. L’hiver ne fait pas de différence de peuple et vous avez beau vivre ici depuis des lustres, vous ne serez pas épargnés si vous n’êtes pas vigilants.
Aujourd’hui, Noir Désir joue live pour la télévision locale Musique Plus. Le concept est simple. Devant un public chanceux, le groupe répond aux questions des journalistes de la chaîne et interprète quelques titres pendant que sur les écrans, les téléspectateurs peuvent suivre la saga des clips. Pour l’occasion, le groupe demandera moins de clips pour jouer plus longtemps sur le podium. Ils interpréteront une dizaine de « tounes » devant un parterre comblé. La presse écrite leur a réservé également un sacré accueil. Le gang des Bordelais peut voir sa tronche étalée un peu partout dans les journaux, notamment les fameux Ici et Voir, deux journaux culturels gratuits indispensables pour tous les noctambules du coin et d’ailleurs. La radio n’est pas en reste non plus et on ne peut pas changer de station sans entendre une succession de titres enchaînés. « Le vent nous portera » marche fort, comme pour de nombreux pays francophones mais « Le grand Incendie » et « Baby boom boom » tiennent le cap des hits. Le Québec n’a pas censuré « Le grand Incendie » comme en France et on a même l’impression qu’il y a comme une expiation à le jouer.
Je croise Serge Tayssot Gay juste avant la balance et je l’accueille d’un « merci et bienvenue » très chaleureux. Un sourire sincère et timide décrispe ses mâchoires serrées par les soufflets venteux d’une fin d’après-midi et il pénètre dans les locaux de Musique Plus pour rejoindre Jean-Paul Roy qui envoie les lignes de basse de « Tostaky ». Il est important de souligner que le studio où joue le groupe à pignon sur rue. Ceux qui resteront sur le pavé faute de ticket pourront suivre le show-case en matant par les grandes baies vitrées. Des petites sonos sont également installées à l’extérieur pour que la frustration soit vraiment minime et que l’événement soit encore plus grandiose. Au dessus du hall d’entrée, un grand bandeau lumineux, aux mille ampoules de Broadway, défile et annonce « Noir Désir artiste du mois-live ». Un français se retourne les larmes aux yeux « C’est dingue, c’est incroyable, Noir Désir en vitrine….. ». Le gars fait sourire sympathiquement l’assistance qui lui lance de doux « C’est ben l'fun pour toi l’ami… ». Vous l’avez dit chers Montréalais, c’est vraiment fun et tout aussi incroyable pour nous petites grenouilles d’outre-atlantique. Imaginez un peu Diane Dufresne faisant la pitre dans une vitrine du Monoprix de la Place de la Nation. Il y a de quoi perdre son latin et son québécois !
Journée de colère : La nouvelle n’a pas traînée. Si la lettre du groupe pour les Victoires de la Musique a fait son petit scandale de par chez nous, au Québec la nouvelle fit plus sourire que couler de l’encre rouge sur tous les tabloïds. Je dois dire que notre réputation de révoltés, de manifestants intempestifs et de gueulards sans frontières est bien ancrée dans la région. Puis, Jean-Marie Messier n’est pas tant (encore) connu au pays de l’érable et des algonquins. Mais on en parle et on commente aussi. Les sujets de discussion débordent alors sur les effets économiques de la mondialisation perpétués par les sociétés tels que la Lyonnaise des Eaux, Hydro-Québec, Universal et Mac Donald. Alors le discours et la philosophie de Noir Désir font mouche dans les esprits québécois. Pourtant, le groupe n’a pas toujours bénéficié d’une telle compréhension et donc d’un succès grandissant. Pire, la presse n’avait pas toujours été très tendre avec le phénomène français et ce dernier avait été accueilli jusqu’alors avec réserve. Le concert des Francopholies de Montréal en 1989 n’avait pas vraiment convaincu et peu avaient eu la chance de voir le groupe, sans tapage promo, aux Foufounes.
Idem en 1997 où Noir Désir paraissait comme un bon groupe français, usé par une tournée marathon et qui ne valait pas plus ni pas moins que d’autres artistes du crû. L’album 666-667 club (détachez chaque chiffre pour le prononcer à la québécoise) est le moins apprécié visiblement par la presse spécialisée. Une autre information venue du pays glisse sur les larges trottoirs gris et salés de Sainte Catherine : Tous les sites indépendants du groupe sont en grève suite à une lettre insultante envers les fans français publiée sur le site officiel. Du fait de la distance, il m’est difficile de suivre vraiment l’affaire. Le pamphlet n’est pas signé par le groupe bien qu’il soit sur la page d’accueil et semble être plutôt une provocation ratée de la part d’un tiers. Noir Désir n’aurait pas participé, ou de loin, à l’élaboration du site. Quand je retourne observer la balance, Serge lance des signes amicaux aux fans givrés-scotchés aux carreaux… à leurs étoiles.
Le Grand Incendie quand les boulevards verglacent : Radio C.I.B.L, les indés timbrés des ondes montréalaises mixent une dizaine de titres sans pubs et sans coupures. L’animateur demande à son dealer de lui faxer expressément du « pot » pour le concert au Métropolis. Il est midi, heure de grande écoute et la fréquence, me dit-on, est bien répandue sur la ville et ses alentours. Ma tête est encore pleine de Molson Ex. et fait autant de bulles que le givre opaque sur la vitre. La veille, Noir Désir foutait le feu à Sherbrooke et le Parking du Village organisait une glam party où vous pouviez croiser les fantômes de Bryan Ferry, David Bowie, Divine et consœurs et se déhancher sur Chicks on Speed, Le Tigre et confrères. Mention spéciale pour la fabuleuse DJ soit dit en passant !
Le ciel pèse sur la ville comme un gros flocon mousseux, anthracite et mystérieux. Le vent gelé pince au travers des jeans et pique vicieusement, dans le silence calfeutré et glacé des rues et des parcs. Le Taxi est à l’aise pour nous déposer devant le théâtre qui se trouve à quelques pas des Foufounes, axe Saint-Laurent - Sainte Catherine. L’endroit est un vieux cinéma converti en salle de concert. La façade est de type classique nord américain, immeuble bas et rectangulaire avec une enseigne rétro des années au moins cinquante avec ses lettres épaisses et noires, aimantées et penchées. D’intérieur, des colonnes et des escaliers vous surprennent et vous mènent vers un long parquet qui s’étend jusque vers la scène, coincée (presque cachée) par deux colonnes d’enceintes qui font front. D’aspect, c’est le Palace. Capacité, un peu moins que l’Olympia à ce que je peux en juger. Bars, à tous les étages et des serveurs viennent vous titiller le gosier avec de larges sourires et les godets pleins. Le balcon central fait figure d’un club avec ses sièges hauts perchés et ses longues tables dressées comme des comptoirs. Sur les murs latéraux, des balcons shakespeariens suspendent au dessus des têtes et des corps affalés. Calmes, trop calmes… !
Une fille demande si Brigitte Fontaine sera de la partie. Dans ses yeux il y a comme une supplique. Je lui rétorque que la miss était en concert la veille sur Paris et que par conséquent elle ne pourrait pas être là. Je la rassure en lui soufflant que de nombreuses personnes qui étaient au concert de la reine Kéké auraient bien aimé la visite des Noir Désir sur la scène du Grand Rex. « Mais ils sont si connus que ça en France ? »….
Hawsley Workman déambule sur la scène pour un set électro-acoustique. Personnage aux allures de Dandy déglingué qui signe et saigne des ballades intenses et fiévreuses dans la pure tradition du théâtre de Brecht. A mi-chemin entre David Bowie 66 et Gave in Friday, option Nick Cave dans les envolées. Provocant par-ci « MonTRRéal, you ‘re so sexyyyyyy » (il est anglophone, cela a son importance ici au Québec), à fait pâlir la Marylin et son gâteau d’anniversaire ou déconnant par-là « Nwar Daiziaire so sexyyyyy tooooo, Bertwand hummmmmm so sexyyyyyy !!!! », pris dans un délire de poses et de caresses adéquat aux propos. Succès garanti et mérité.
Et le Métropolis se métamorphose en temple Tibétain. « Whooooooooooooooooooooooaaaaaaaaaaooooohhh… ». Sombre. Grave. Rouge. « J’t’écris toujours…. », un faisceau orange balaye le plancher. Le triptyque Des Visages Des figures se devine en fond de scène, suspendu dans l’obscurité. Quelques salves de mains appuyées par des cris perdus dans la masse, qui ondule et se presse. Puis l’attention et l’écoute s’installent progressivement. Pas de « Bertraaannd ! » en chaleur. Ça repose enfin !
Cantat hache les mots, les frappe. Barthes fait dans la roulade tribale. Tayssot Gay cisaille.
« Ernestine », pousse pousse devant et hop, balcons debout. La partie violon est assurée par Christophe Perruchi aux claviers. Il y a un peu de rocaille dans le refrain et la sono en façade est toujours dans l’équilibre et les balances. Mais la tension, c’est ça qui compte, surtout chez Noir Désir et elle monte la tension, elle monte ! « Septembre en Attendant » qui dérive en remix, break de Barthes qui explose les futs. Les samples de Perruchi et la basse de Roy se fracassent contre les parois balayées par les ombres. « A l’envers, à l’endroit », peut-être l’exercice de style du set mais jouissif sur la montée « no passaran…. ». De toute façon, quel texte ! A la tienne Camarade Jean-Marie !
A partir de là, ça décolle vraiment. Le groupe a bien pris ses marques. Cantat casse du bassin et secoue fort les doigts. Tayssot Gay passe en mach supérieur. « Le Grand Incendie », l’audience se lâche et la clameur des chœurs s’étend bien au delà de la console. Tout s’enchaîne, vite et fort, très fort. Ca rocaille toujours mais la sauce est bien secouée. « Les écorchés » revisitée façon Sloy avec le magnétique « White light, white heaaaattt…. » en boucle. Cantat hurle comme un dément. « La Chaleur », déluge de saturation et de larsens. Tayssot Gay entâme « I’m lost » qui, sur scène, qui fait passer la version studio pour une balloche des bords de Marne. A peine achevée que Cantat la renvoie dans un style électro-acoustique. « Des Visages, Des figures » aérienne, on frôle la lévitation et on salue au passage Syd Barrett. « Le fleuve » lifté jusqu’à la racine et le célèbre cri que l’on peut entendre sur de nombreuses versions est amputé. Le public lance de véritables charges frontales sur « L’homme pressé », mégas beats et mégas chœurs à gorges déployées et s’effondre sur « Des armes ». Cantat ose quelques mots comme « …. Un vieux titre que l’on ne peut pas s’empêcher de jouer » et Tayssot Gay balance l’accord de « A l’arrière des Taxis », raturé, hachuré, saturé. Par terre ! Applaudissements. « Le vent nous portera » en rappel et bien soutenu par le public qui se prend en pleine face une déflagration de solos et de martèlements avec « Tostaky » . Le refrain est soudainement repris a capella et en canon avant de repartir à 215 kilomètres heure précisément ! Des balcons, les silhouettes se penchent les bras tendus et les doigts agrippés à l’atmosphère sulfureuse. « Bouquet de nerfs » et le silence se fait religieux. Puis Cantat pose la guitare et empoigne le micro. Approximativement « Un très vieux truc que l’on apprécie toujours. On voulait vous le faire comme ça ». Féroce reprise de « 21st century schidzoïd man” de King Crimson, aux antipodes de l’original psychédélique. Roy arpente la scène, Cantat se déhanche et se vautre presque dans la grosse caisse. Tayssot Gay, lui, s’étale proprement. Petite panique ! Et tous se resserrent dans un délire de joie et de bonheur. La salle exulte, Montréal est conquis. « Comme elle vient », trois petits tours et Noir Désir, la main sur le cœur, quitte les rampes. Quand les grandes illuminations resplendissent, tout le public se lève et offre une grandiose « standing ovation ». Le groupe ne l’honorera pas et il faudra une bonne dose de son pour que les derniers acharnés se résignent.
Dehors , l’hiver reprend ses droits et le verglas a pris la ville, qui se glisse plus profond dans la nuit. Sur les hauteurs de Saint-Denis, les corps exécutent des figures parce que c’est dur de rester debout. Et je vois alors les visages, magnifiques, irradiés, qui flottent au loin sur le Saint-Laurent. Belle nuit sur Montréal.
Spokans, Montréal-Pittsburgh le 16 mars 2002, Paris, le 18/19/20 mars 2002.
1000 Mercis à vous, Roch et Jean, pour la ballade. Salut à toi Richard. Kenada ya tout là hey !